Les Coulisses de QIN SHI HUANG
Petit jeu de questions-réponses autour de Qin Shi Huang
De nombreux écrits relatent la vie de Qin Shi Huang. Dans un souci didactique, et pour rendre ce rappel historique plus digeste, voici un petit jeu de questions-réponses.
Pourquoi dit-on que Qin Shi Huang fut le premier empereur chinois?
Parce qu’il se nomma de la sorte, tout d’abord. En effet, Ying Zheng (prénom et nom d’origine) décida de prendre en – 221 le titre de Huangdi (Divin Ancêtre), qui fut traduit par « empereur ». Ce titre, semble-t-il, avait jusqu’alors été réservé à un grand ancêtre royal dont toutes les familles nobles se réclamaient. Dans un deuxième temps, il s’autoproclama Premier empereur (Shi Huangdi) et décida que son fils prendrait le titre de Deuxième empereur, et ainsi de suite sur dix mille générations.
Mais au-delà de cette simple autoproclamation, il est vrai que c’est sous le règne de Qin Shi Huang que l’ensemble des états féodaux qui occupaient alors la partie centrale du territoire actuel de la Chine fut unifié.
Pour comprendre cela, il faut remonter un peu le temps. Dans la plaine centrale chinoise, la dynastie royale des Zhou prend le pouvoir vers – 1046 à la suite de la dynastie Shang, et va diriger cet espace jusqu’en – 256, date de l’effondrement de cette dynastie. Sept états royaux et donc rivaux (le Qin, le Han, le Wei, le Chu, le Zhao, le Qi et le Yan) se partagent alors l’espace précédemment occupé par la dynastie des Zhou. Cette période de flottement ouvre naturellement des perspectives à qui veut bien s’en saisir…
Ying Zheng, devenu roi en – 238, suit les conseils de Li Si (son ministre) et commence par s’attaquer au faible royaume voisin de Han. Après huit ans, en -230, la conquête du Han par le royaume Qin est achevée.
Étape suivante : la conquête du Zhao. Ce royaume offre d’abord une solide résistance militaire sous la conduite d’un brillant général, Li Mu. En soudoyant des proches du roi de Zhao, Zheng parvient à obtenir le remplacement de Li Mu par un général de moindre talent. En – 228, la conquête du Zhao est finalement terminée.
Zheng s’en prend ensuite au Yan, qu’il conquiert en – 226. En – 225, la reddition du Wei est obtenue.
Après le nord, les armées de Zheng entreprennent ce qui est sans doute le plus gros morceau : la conquête du Chu. Le Chu est un rival puissant car solidement armé. Les deux plus grosses armées d’alors se combattent en – 225. Engagé avec « seulement » 200 000 soldats, contre les conseils de leur précédent général en chef Wang Jian, parti à la retraite un an auparavant, le royaume de Qin essuie une lourde défaite face à son rival.
Zheng rappelle alors le vieux Wang Jian. Le sens stratégique de ce brillant général et une armée de 600 000 soldats assurent finalement la victoire du Qin sur le Chu en – 223.
Les dernières poches de résistance des royaumes de Zhao et de Yan sont matées en – 222. Ne reste que le petit royaume de Qi, qui sera conquis sans peine en – 221.
En – 221, donc, les sept royaumes rivaux qui avaient hérité du territoire des Zhou sont réunifiés sous la bannière Qin. Zheng se proclame alors Qin Shi Huangdi, le « Premier empereur ».
Qin Shi Huang a ainsi réunifié les sept royaumes. Que s’est-il passé ensuite sous son règne d’empereur?
Sa gouvernance va principalement s’articuler autour de deux axes. Un axe militaire avec des conquêtes supplémentaires qui vont rapprocher la taille de son empire de celle de la Chine actuelle. Et un axe de politique intérieure selon lequel Qin Shi Huang œuvrera pour installer un nouveau système, en rupture avec l’ancien système féodal : le système légiste.
Qu’en est-il alors des nouvelles conquêtes de Qin Shi Huang?
Curieusement, vous l’aurez noté, Zheng s’autoproclama Premier empereur en – 221 bien que son empire en réalité ne semblât pas plus étendu que celui du royaume Zhou.
Néanmoins, pendant les onze années de son règne (- 221 à – 210), Qin Shi Huang poursuivit sa politique de conquêtes, principalement vers le sud, en attaquant le royaume de Hu, mais également en repoussant certaines tribus mongoles du nord. Il consolida sa frontière en engageant la construction de la grande muraille de Chine. En réalité, les fondements de cette muraille existaient probablement déjà car diverses fortifications avaient été bâties préalablement. Étonnamment, cette deuxième période de conquêtes est sensiblement moins documentée que la première.
En quoi consiste le système légiste sur lequel se fonda la gouvernance de Qin Shi Huang?
Pour éviter à son empire le même sort que celui qui a amené la chute du royaume Zhou, Qin Shi Huang, sous l’influence de son ministre Li Si, décida d’abolir l’ancien système féodal reposant sur l’attribution de domaines seigneuriaux et de transmission héréditaire. À la place, il mit en place un système dit « légiste ».
Selon la définition donnée par Wikipédia, regroupe des penseurs chinois ayant vécu de la fin du VIIIe siècle av. J.-C. jusqu’à la fin de la période des Royaumes combattants (IIIe siècle av. J.-C.). […] Ils recommandent un gouvernement fort, fondé sur des lois connues de tous et non sur la bonté des hommes. Ils prônent l’absolutisme au moment où, en Chine, la féodalité est remise en question. Leur « réalisme politique » a mené à un exercice tyrannique du pouvoir, finalement rejeté et par la suite rarement revendiqué ».
Suivant les préceptes légistes, Qin Shi Huang établit une rupture radicale par rapport aux anciennes méthodes et met en place une centralisation stricte. Il découpe le territoire en « préfectures », chacune dirigée de manière non héréditaire par un gouverneur, un chef militaire, et un inspecteur impérial, tous nommés pour leur compétence. Il met en place également une monnaie « unique ».
Les promotions des gouverneurs ou fonctionnaires se faisaient au mérite et à l’application stricte des lois qin. Une puissante administration fut établie avec pour objectif de faire durer pour des milliers de générations cet empire. Cependant, l’extrême orthodoxie dans l’application de ces lois rendit ce régime tyrannique et impopulaire, et eut effet l’inverse.
Des milliers de livres furent détruits et d’innombrables lettrés furent exécutés (parfois même enterrés vivants) pour s’être opposés à cette politique, ce qui rendit Qin Shi Huang fortement impopulaire.
Alors qu’il devait perdurer des milliers d’années, l’empire Qin ne survécut pas trois ans à la mort de son fondateur, après que son fils cadet, le faible Huhai (Qin Er Shi, le « Second empereur »), décéda et que de multiples révoltes éclatèrent dans tout l’empire.
« Le chancelier Li Si dit : Moi, votre serviteur, vous propose que tous les récits des historiens autres que ceux de l’État de Qin soient brûlés. À l’exception des lettrés dont la charge inclut la possession de livres, si quiconque sous le ciel a des copies […] des écrits des cent écoles de pensée, il devra les remettre au gouverneur ou au commandant pour être brûlés. Quiconque parlant de ces livres sera exécuté en public. Quiconque utilisera l’histoire pour critiquer le présent verra sa famille exécutée. »
Extrait du Shiji de Sima Qian, historien officiel de la dynastie Han, qui entreprit un travail de recherche historique sur les origines de la Chine.
Qin Shi Huang ne s’est pas fait tout seul, il semble qu’il était remarquablement bien entouré.
Rien de nouveau finalement. Aucun homme célèbre, aucun despote d’ailleurs, ne se fait tout seul. Mais il semble en effet que Qin Shi Huang a pu bénéficier de la compétence de plusieurs hommes importants tout au long de son parcours.
Il a bien entendu Li Si, son ministre. Né en – 280 (Zheng est né en – 259), et mort en – 208, il joua un rôle clé. Né dans le royaume de Chu, cet homme ambitieux décida de s’installer dans le royaume de Qin et eut la chance de rencontrer Lü Buwei qui avait attiré de nombreux lettrés à sa cour. De fil en aiguille, Li Si finit par être nommé Premier ministre par Zheng lorsque celui-ci accéda au pouvoir en – 238. Il inspira fortement Zheng sur la stratégie à adopter pour conquérir les six royaumes voisins. Par la suite, il fut celui qui convainquit Qin Shi Huang de mettre en place la doctrine légiste. Il semblerait qu’il ait joué un rôle central dans les purges qui suivirent et l’élimination de milliers de lettrés. Il fut aussi celui qui amena sur le trône le fils cadet de Qin Shi Huang (davantage influençable et malléable) alors que le fils aîné aurait dû hériter du trône.
La dynastie Qin ne survécut pas à la mort de Li Si.
Bref, en quelques mots, les lettrés chinois attribuèrent la plupart des succès de Zheng/Qin Shi Huang à Li Si. Il était peut-être le vrai cerveau derrière Qin Shi Huang, et sa vie mériterait sans doute également une BD à elle toute seule.
Il y eut ensuite de brillants généraux autour de Zheng/Qin Shi Huang, qui conduisirent efficacement la politique expansionniste pensée par Li Si. Meng Ao fut l’un d’entre eux. Meng Wu, son fils, participa à la conquête du Chu. Et Meng Tian, son petit-fils, poursuivit les conquêtes vers le nord sous le règne de l’empereur. Mais le plus puissant de ces généraux fut certainement Wang Jian, aidé de son fils Wang Ben, qui furent les véritables artisans de la conquête des six royaumes voisins par le royaume Qin. À tel point qu’après la première tentative ratée de conquête du Chu, Wang Jian fut rappelé de sa retraite pour mener cet objectif à bien, chose qu’il fit avec l’appui de plus de 600 000 soldats!
Pour résumer, nous pourrions dire que si Li Si fut le cerveau, Wang Jian fut certainement le bras armé. Mais après tout, cela fait aussi partie du talent des grands hommes de savoir s’entourer des personnages les plus compétents.
Avant – 238, Zheng a pu également compter sur quelques personnages clés, parmi lesquels nous pourrions citer le riche et puissant marchand Lü Buwei.
Né en – 291, mort en -235, il devint ministre et régenta le royaume de Qin de manière avisée jusqu’à ce que Zheng prenne le pouvoir et l’écarte.
Mais avant cette fin tragique, Zheng fut le protégé de Lü Buwei qui fut même nommé « père secondaire » de Zheng. Lü Buwei eut en effet pour concubine Zhaoji, la mère de Zheng, qu’il fut obligé de « céder » au prince héritier du royaume de Qin, Yi Ren. Lü Buwei assura longtemps sa protection à Zheng, à tel point que certains écrits non étayés disent que le véritable père de Zheng était Lü Buwei. Quant à Yi Ren, le père de Zheng, il n’était pas prévu initialement qu’il hérite du trône…
Finalement, quel bilan pouvons-nous faire du règne de Qin Shi Huang?
Il est toujours difficile de dresser un bilan précis dès qu’on parle d’histoire, surtout deux mille ans plus tard.
Le règne de Qin Shi Huang a indéniablement posé les bases de la période impériale chinoise, davantage pour sa politique intérieure que pour ses conquêtes militaires finalement, bien qu’elles ne soient pas négligeables. Mais Qin Shi Huang reste surtout connu pour l’extrême cruauté de son règne, et pour sa dynastie qu’il rêvait millénaire mais qui ne lui survécut par réellement. Une nouvelle période de guerre civile débuta, similaire à celle qui suivit la fin du royaume Zhou.
Dans une comparaison avec l’époque contemporaine, nous pourrions dire qu’il a su écrire sa propre histoire (notamment en s’autoproclamant Premier empereur), qu’il a su bien s’entourer (de Li Si et de ses généraux), et qu’il a bénéficié de coups de pouce du destin (en étant le fils d’un prince héritier « choisi » et grâce à la protection de Lü Buwei) ! En revanche, Zheng n’a pas eu à « sortir du rang » et ni à bâtir un empire à partir de rien. À ce titre, le parcours de son ministre Li Si est sans doute plus éloquent. Il est donc assez difficile de déterminer si Zheng/Qin Shi Huang était un génie ou juste quelqu’un de suffisamment talentueux pour avoir su tirer profit des bonnes personnes aux bons moments. Mais après tout, n’est-ce pas le lot commun de la plupart des hommes célèbres?